Insigne aux couleurs de la France et de la Déportation
Ref : WW21

Boutonnière Camps Numéro 178284
Depuis sa création en 1945 les membres de la FNDIRP portent un insigne aux couleurs de la France et de la Déportation.
Le fond de cet insigne en forme de blason rappelle la tenue rayée des détenus dans les camps. Au centre, un triangle rouge (attribué aux politiques dans les camps), le tout traversé par un fil barbelé. Au sommet de l’insigne un numéro de matricule 178284.
A qui appartenait ce matricule ?
C’est une longue histoire rapportée par Roger Arnaoult, ancien résistant déporté à Buchenwald, historien autodidacte et documentaliste de la FNDIRP.
Au printemps 1945, au 16 rue d’Artois à Paris, le Centre d’accueil des internés et déportés est dirigé par le docteur Henri Uzan.
Le docteur Uzan était juif. Il fut arrêté par la police de Pétain le 1er octobre 1941 et interné à Drancy. Avec le peu de moyens dont il disposait, il entreprit de soigner les malades qu’il voyait ensuite partir, semaine après semaine, vers leur terrible destin.
En octobre 1943 il est déporté dans l’île anglo-normande d’Aurigny. (1)
Après le débarquement du 6 juin 1944, la pression des Alliés obligea les nazis à évacuer l’île et à transférer les déportés au camp de Neuengamme, via le nord de la France et la Belgique.
Lors du transfert, le docteur Uzan réussit à s’évader du train dans la nuit du 3 au 4 septembre aux environ de Dixmude dans les Flandres. Il est recueilli par la Résistance belge, qu’il intègre avant d’être rapatrié en France.
La préfecture de la Seine lui confie alors la direction du service médical du centre de la rue d’Artois.
Le récit de la famille Fogiel, rescapée de Blechhammer
Au printemps 1945, les premiers rescapés des camps rentre en France.
Début avril, un père et ses trois fils se présentent au 16 rue d’Artois. Ils viennent de Marseille où un navire britannique venant d’Odessa les a débarqués quelques jours plus tôt avec 1665 Français, la plupart des prisonniers de guerre, mais aussi 62 déportés recueillis par les Soviétiques après la libération d’Auschwitz.
Ces quatre hommes survivants de la famille Fogiel furent détenus dans un kommando d’Auschiwtz-III : Blechhammer. La mère et la soeur furent gazées à Birkenau.
Blechammer était le lieu d’implantation d’un important complexe chimique dont le maître d’oeuvre était l’OHW (Oberschlesische Hydrierwerke, AG), une firme liée au géant IG-Farben (2) , grand exploiteur de la main-d’oeuvre concentrationnaire, parmi d’autres.
L’un des fils Fogiel, Bernard, raconta au Dr Uzan leur parcours, décrivit le camp qui, le 1er avril 1944, devint dépendant d’Auschwitz-III. Un nouveau commandant SS arrivé au camp leur fit tatouer un matricule sur le bras gauche dans des séries supérieures à 170000, celui de Bernard étant le 177085.
Bernard expliqua qu’après de nombreuses alertes, descente dans les caves, et les bombardements de l’usine les dégâts étaient très importants. Des morceaux de fils électriques jonchaient le sol de l’usine qui produisait de l’essence synthétique tirée du charbon.
Ces chutes de fils électriques faisaient le bonheur des déportés qui les utilisaient comme bretelles, ceintures ou autres lacets !
Malheureusement, un responsable nazi de passage nota les numéros des ramasseurs et les accusa d’avoir sciemment arraché les fils électriques sur des installations en fonctionnement. Pour lui il s’agissait donc d’un sabotage.
C’est là qu’entra en scène un kapo bienveillant Charles Oschkor. Pour se faire remarquer raconte Bernard Fogiel, le kapo gifla les infortunés et promis au responsable nazi de s’occuper plus tard.des sanctions Le responsable nazi parti on pensait l’histoire terminée.
Manque de chance, le responsable nazi revint quinze jours plus tard et demanda au commandant SS quelles suites avaient été données à l’affaire.
Une enquête fut menée et les accusés saboteurs furent retrouvés et le kapo qui voulait les sauver fut déclaré complice.
La sanction tomba et c’est devant des milliers de détenus contraints d’assister au garde-à-vous à la funeste cérémonie ponctuée par la polyphonie de l’orchestre du camp que le kapo ’Oschkor et deux Turcs juifs furent pendus.
La famille Fogiel crut pouvoir se rappeler que le matricule du fraternel Oschkor était le 178284.
Naissance d’un emblème
Impressionné par l’histoire, le Dr Uzan passa une mauvaise nuit, se rappelant ses propres souvenirs de déportation.
L’idée d’une sorte d’emblème commença à hanter son esprit.
Le lendemain, il partagea son émotion avec sa collaboratrice, Mlle Watel, Roberty, le directeur du Centre, avec lequel il avait créé l’Association des internés et déportés politiques (AIDP), et un ami, M. Longequeue, également en fonction au Centre. Chacun imagina un symbole, crayonna, donna ses suggestions.
Au fil des dessins apparurent les bandes bleues et blanches, puis le triangle rouge du politique, et le F pour les Français, le barbelé en diagonale. Et le matricule 178284, pour honorer le sacrifice du kapo Oschkor. Au final le tableau se voulait symbolique de l’unité et de la solidarité de la Déportation.
Le dessin fut encadré et placé dans le bureau du docteur Uzan à coté de la devise de Louis Pasteur : « Je ne te demande pas quelle est ta conviction, ni quelle est ta religion, seulement quelles sont tes souffrances ».
Mai-Juin 1945. Au retour des déportés plusieurs associations virent le jour. Leur but était de faire face aux besoins et de tenter d’aider les familles dans leurs recherches désespérées.
La tâche était énorme. L’une d’elles, de caractère national, s’installa au 10 rue Leroux avec pour nom : Fédération nationale des centres d’entraide des internés et déportés politiques.
En avril 1945 eut lieu la première conférence de cette nouvelle fédération.
Hélas en juillet, un différend l’opposa au Centre de la rue d’Artois à propos des services de l’assistance médicale aux déportés.
Un accord satisfaisant fut trouvé servant au mieux les intérêts des déportés et internés. Maurice Delecolle et Maurice Lampe, responsables de la rue Leroux demandèrent au Dr Uzan : « Pour sceller notre amitié, de quelle manière pourrions-nous vous faire plaisir ? » Une réponse jaillit : « Je possède un tableau qui pour moi symbolise toute la déportation, je serais heureux que votre fédération en fasse son emblème ».
Dès le mois d’août 1944, des rescapés des camps circulèrent dans Paris avec l’insigne à la boutonnière honorant le matricule 178284. Peu en connaissaient l’histoire.
Le 27 août 1945, la deuxième conférence de la Fédération des centres d’entraide eu lieu. Sur la couverture de la brochure présentant le rapport du secrétaire général Delecolle figurait l’écusson avec ses trois couleurs et le matricule.
Quelques mois plus tard, la Fédération des centres d’entraide se transforma en Fédération nationale des déportés et internés, résistants et patriotes. Elle conserva le patrimoine de la rue Leroux… et son insigne.
Décembre 1945 : au tribunal de Nuremberg, les témoins portant le 178284 faisaient face aux chefs de file du nazisme.
Parmi ces témoins, Marie-Claude Vaillant-Couturier, rescapée d’Auschwitz et de Ravensbrück, et Maurice Lampe, rescapé de Mauthausen.
Cette première apparition de l’emblème dans des circonstances historiques sera suivie d’innombrables autres au fil des ans et des décennies.
178184 ou 178284 ?
Le temps passa et l’histoire du kapo de Blechhammer fut complètement oubliée.
En 1970, Marcel Paul, président-fondateur de la FNDIRP, voulut en savoir plus sur le déporté 178284 et adressa une demande à la Mission française de recherche auprès de l’ambassade de France en RFA.
La réponse de la Mission française fut stupéfiante.
Le matricule 178284 correspond à un déporté juif hollandais, Markus Polak, né le 24 avril 1923 aux Pays-Bas, marchand des quatre saisons à Rijsen où il habitait, arrêté par la Gestapo le 27 août 1942 et détenu d’abord au camp de Westerbork (camp de concentration nazi situé au nord-est des Pays-Bas).
Il était arrivé à Blechhammer le 23 janvier 1943, immatriculé une première fois sous le numéro 178284.
Transféré en janvier 1945 à Buchenwald sous le matricule 118382, il fut affecté au kommando d’Ohrdruf. Mais son calvaire n’était pas terminé. Envoyé à Bergen-Belsen, il y mourut du typhus après la libération du camp, aux alentours du 31 mai 1945. Telle est l’odyssée et l’histoire du véritable 178284.
Mais « le numéro sur l’insigne de la FNDIRP, le récit recueilli par le docteur Uzan début avril 1945 par un témoin direct, confirmé depuis par d’autres, le kapo pendu à Blechhammer… qu’en reste-t-il ? Tout semblait remis en question… » écrivait Roger Arnould. Les quatre rescapés de la famille Fogiel s’étaient manifestement trompés de numéro.
Mais qui était donc Oschkor ?
Pour sortir de l’impasse, à l’initiative de de Charles Joineau, secrétaire général de la FNDIRP, d’autres recherches furent menées.
Un dossier, assez pauvre en informations, émanant du Service international de recherches d’Arolsen, permit tout de même d’apprendre en 1975 que Oschkor Chaïm, ou Charles en France, était né le 7 août 1904 à Vignitz en Roumanie.
Il fut arrêté au 11 boulevard Poniatowski à Paris et déporté de Drancy vers Auschwitz le 28 septembre 1942. En marge du dossier, cette remarque : « En l’absence de documents il n’est pas possible de délivrer un certificat de décès » ! On sait encore qu’il était ingénieur chimiste employé par la société Shell à Paris, qu’il était marié et avait deux enfants, que sont-ils devenus ? Et on connaît sa fin digne et tragique à Blechhammer.
Partant de l’attribution des matricules par ordre alphabétique, on peut supposer que Charles Oschkor fut intercalé après Obréjean, le numéro 177277, et avant Pudeleau, le 178215, et penser qu’il reçut le 178184. D’où la facile erreur de la famille Fogiel.
Ce qui importe finalement, c’est la personnalité de Charles Oschkor, que Bernard Fogiel avait décrit de la sorte : « Je ne l’ai jamais entendu élever la voix et je ne connais personne qui s’est plaint d’avoir eu à souffrir de lui. Il avait très bonne réputation et chacun aurait souhaité appartenir à son kommando….sérieux et aussi souriant que possible, au camp cela tenait du miracle. Le fait que dans ces circonstances il y en avait un prêt à en sauver d’autres au prix le plus cher, alors que tous nous cherchions à survivre, malgré l’entourage, l’abrutissement, les bourreaux. Quel merveilleux exemple d’espoir et de continuité humaine. »
En conclusion Roger Arnould observait, fort justement : « Le docteur Uzan ne pouvait pas mieux choisir son modèle. Charles Oschkor correspond admirablement à ce qu’il souhaitait pour symboliser la Déportation. Que le numéro retenu ne soit qu’approchant ne change rien. Même cette dépersonnalisation, rappelant que les déportés étaient voués à la déshumanisation et à l’anéantissement par leurs bourreaux SS, vient renforcer la signification profonde de l’insigne ».
Source : Le patriote Résistant.
(1) Ile d’Aurigny

Ile d’Aurigny (des Iles Anglo-Normandes) au large du Cap de la Hague
Pendant l’occupation allemande, l’île d’Aurigny qu’Hitler baptisera du nom de code « île Adolf », deviendra un gigantesque camp de travail dont la vie quotidienne s’apparente plutôt à celle des camps de concentration. Plus de 700 prisonniers y moururent. Suite au débarquement du 6 juin 1944, sous la pression des Alliés les nazis évacuent l’île et transfèrent les déportés au camp de Neuengamme, via le nord de la France et la Belgique.
(2) IG Farben

Vue de l’usine IG-Farben, à Monowitz (Auschwitz III)
IG Farben est un consortium de plusieurs entreprises chimiques, dont AGFA, BASF, Bayer et Hoechst, qui s’enrichissent considérablement durant le seconde guerre. Elle produit, outre le caoutchouc synthétique (BUNA), de l’essence synthétique et du Zyklon B, et fait tester par les médecins SS divers « préparations » chimiques sur les détenus. Dans ses diverses entreprises disséminées dans tout le Reich, IG Farben emploie durant la guerre plus de 350.000 détenus, parmi lesquels des milliers trouveront la mort, condamnés au travail forcé dans des conditions inhumaines.
Signature :
ADIRP 37
adirp.37@orange.fr