L’histoire et la vie de Napoléon III
Jeunesse
Troisième fils de Louis Bonaparte et d’Hortense de Beauharnais, le futur empereur voit le jour rue Cerruti, à Paris, le 20 avril 1808, à une heure du matin. Il naît onze mois après le décès, en mai 1807, de son frère aîné âgé de 4 ans, Napoléon Louis Charles Bonaparte, victime d’une angine diphtérique. Comme son autre frère, Napoléon Louis Bonaparte, puis comme c’est plus tard le cas pour le roi de Rome, Louis-Napoléon reçoit à sa naissance les honneurs militaires par des salves d’artillerie tirées dans toute l’étendue de l’Empire. Son oncle l’empereur Napoléon étant absent, on ne prénomme l’enfant que le 2 juin suivant. Il n’est baptisé que deux ans plus tard, le 4 novembre 1810, à la chapelle du château de Fontainebleau. Son parrain est l’empereur et sa marraine la nouvelle impératrice, Marie-Louise.
En juin 1814, à la mort de leur grand-mère maternelle, l’ex-impératrice Joséphine, Louis-Napoléon et son frère sont chargés de conduire le deuil lors du transfert de la dépouille à l’église de Rueil-Malmaison.
L’Exil : entre Rome et le château d’Arenenberg
La loi du 12 janvier 1816, bannissant tous les Bonaparte du territoire français et les obligeant à céder leurs biens, contraint l’ex-reine Hortense de Hollande, séparée de corps et de biens avec son mari, à s’exiler en Suisse alémanique où elle achète, en 1817, le château d’Arenenberg, dominant le lac de Constance. Elle s’y installe avec Louis-Napoléon tandis que son frère aîné part vivre avec son père à Rome, où celui-ci tente d’obtenir l’annulation de son mariage avec Hortense.
Sans soucis d’ordre matériel, Louis-Napoléon est élevé par sa mère à Arenenberg en été et à Augsbourg en hiver. Son éducation est d’abord prise en charge par quelques professeurs occasionnels mais, en général, il est souvent livré à lui-même et fait de longues escapades dans la campagne suisse. Quand son père s’aperçoit du faible niveau d’éducation de son fils cadet, alors âgé de 12 ans, il menace Hortense de lui retirer la garde de l’enfant si elle ne reprend pas en main son éducation. Elle fait alors appel à un nouveau précepteur, nommé Philippe Le Bas, fils d’un conventionnel jacobin, tandis qu’un ancien officier de son oncle Napoléon Ier lui enseigne l’Art de la guerre dans le culte de l’empereur et dans la certitude de son destin dans la dynastie. Soumis à une discipline stricte, ses résultats s’améliorent dans quasiment toutes les matières. À partir de 1823, c’est à Rome qu’Hortense et ses fils s’installent, rejoignant Arenenberg en été. Dans cette ville, Louis-Napoléon découvre la politique aux côtés des libéraux italiens autour des thèmes de liberté et de nation mais c’est en Suisse qu’il s’engage dans la carrière militaire en 1830, à l’École militaire centrale fédérale de Thoune alors dirigée par le futur général Dufour.
À la suite des Trois Glorieuses qui renversent Charles X en France, Louis-Napoléon et son frère aîné, Napoléon-Louis, espèrent que s’ouvre pour eux une ère nouvelle mais la loi du 11 septembre 1830, votée par la nouvelle assemblée orléaniste qui craint une offensive bonapartiste, impose à nouveau l’interdiction de séjour des Bonaparte dans le royaume.
Les fils Bonaparte sont indignés, ce qui amène la reine Hortense à partir avec eux pour Rome afin de les éloigner de la France. Ils sont néanmoins rapidement impliqués dans les conspirations des carbonari visant à favoriser la cause de l’unité italienne et à déposséder le pape de son pouvoir séculier. Les deux frères participent ainsi aux insurrections dans les territoires pontificaux de l’Italie centrale, avant de devoir finalement se replier sur Bologne, où ils se retrouvent encerclés par l’armée autrichienne et les armées pontificales, décidées chacune à leur régler leur sort. Repliés sur Forlì, les deux frères doivent aussi faire face à une épidémie de rougeole qui emporte de nombreux soldats, déjà affaiblis par leurs blessures. Le 17 mars 1831, Napoléon-Louis succombe à l’épidémie tandis que Louis-Napoléon subit à son tour les effets de la maladie. La reine Hortense parvient à rejoindre son fils, à l’exfiltrer vers la France et à rejoindre Paris, où elle obtient du roi Louis-Philippe une audience le 26 avril 1831 et l’autorisation de rester à Paris plusieurs jours, le temps que Louis-Napoléon se rétablisse, avant de rejoindre l’Angleterre. Ils gagnent ensuite la Suisse en août 1831, après avoir reçu de l’ambassade de France à Londres un sauf-conduit pour traverser le territoire français.
En 1832, Louis-Napoléon obtient la nationalité suisse dans le canton de Thurgovie.
La montée vers le pouvoir
Après la mort du duc de Reichstadt le 22 juillet 1832, Louis-Napoléon apparaît comme l’héritier de la couronne impériale d’autant plus que ni Joseph Bonaparte ni son père Louis ne manifestent l’envie de reprendre ce titre. Lors d’une conférence familiale en 1832, Louis-Napoléon s’exaspère notamment de l’attitude attentiste de son oncle Joseph, le chef de la famille depuis la mort de l’aiglon. Exalté par les climats d’intrigues, le prince organise ses réseaux, rencontre en Belgique des émissaires du marquis de La Fayette et rédige un manuel d’artillerie pour les officiers suisses qui le fait connaître de la presse militaire française et qui lui vaut d’être récompensé par la promotion au grade de capitaine dans le régiment d’artillerie de Berne.
Pendant ces années qu’il passe principalement en Suisse, il correspond avec les chefs français de l’opposition, écrit et publie des ouvrages ou des manifestes et reçoit à Arenenberg de nombreuses personnalités telles le comte François-René de Chateaubriand, Madame Récamier ou encore Alexandre Dumas. Il continue aussi à conspirer.
Tentative de soulèvement à Strasbourg
Article à venir
Louis-Napoléon, vers 1836.
Le 30 octobre 1836, Louis-Napoléon effectue ainsi une tentative de soulèvement à Strasbourg avec une poignée de partisans. Il espère soulever la garnison et, ensuite, marcher sur Paris et renverser la monarchie de Juillet. Son plan est de rassembler sur son passage les troupes et les populations, sur le modèle du retour de l’île d’Elbe, en 1815. Le choix de Strasbourg s’impose car c’est une importante place militaire, qui plus est, aisément accessible depuis le pays de Bade (Confédération germanique). Par ailleurs, c’est une ville d’opposition au régime mais patriote où les sympathies bonapartistes s’expriment non seulement dans les garnisons mais aussi au sein de la population.
Sur place, l’âme du complot est le colonel Vaudrey, qui commande le 4e régiment d’artillerie, dans lequel Napoléon Bonaparte a servi à Toulon, en 1793, et qui s’estime mal traité par la monarchie de Juillet.
L’opération est engagée le 30 octobre 1836 au matin mais elle tourne court assez rapidement. Les insurgés sont arrêtés et incarcérés dans le corps de garde de la caserne puis transférés à la prison de la ville. Louis Bonaparte et les oncles du jeune prince condamnent aussitôt l’opération. La reine Hortense écrit à Louis-Philippe Ier pour lui suggérer de laisser son fils quitter la France. Le 9 novembre, Louis-Napoléon est amené sous escorte à Paris et enfermé à la préfecture de police. Souhaitant éviter un procès public qui risquerait de lui donner une tribune pour plaider sa cause, le roi convainc son gouvernement d’exiler le prince. Conduit à Lorient, Louis-Napoléon, muni d’une somme d’argent, est embarqué sur L’Andromède le 21 novembre 1836 à destination des États-Unis. Il débarque à Norfolk (Virginie) le 30 mars 1837, d’où il rejoint New York.
Pendant ce temps, treize de ses partisans sont jugés à Strasbourg devant la cour d’assises. Seuls sept d’entre eux comparaissent. Tous sont acquittés par le jury, sous les acclamations du public, le 18 janvier 1837. Si la tentative a été un échec complet et a été désavouée par la famille Bonaparte, elle a fait connaître le prince Louis-Napoléon qui écrit de sa prison à Odilon Barrot, le chef de l’opposition parlementaire, pour lui exposer ses motivations et ses revendications politiques reposant sur la restauration de l’Empire et le recours au plébiscite.
Retour en Europe
Le prince ne reste pas longtemps aux États-Unis. Alors qu’il s’apprête à entreprendre un périple à travers tout le pays, il apprend la détérioration importante de l’état de santé de sa mère. Il rentre aussitôt en Europe pour être à son chevet à Arenenberg mais, interdit de séjour sur le continent par le gouvernement de Louis-Philippe, il est bloqué en Angleterre où il essaie d’obtenir, auprès des ambassades européennes, un passeport et un visa. En août 1837, c’est finalement muni d’un faux passeport américain qu’il parvient à se rendre en Suisse auprès de sa mère mourante. Maintenue en vie sous opium, elle décède le 5 octobre 1837.
En juin 1838, l’un des conjurés de Strasbourg, l’ex-lieutenant Armand Laity, apparenté par alliance à la famille de Beauharnais, publie à 10 000 exemplaires une brochure, financée par Louis-Napoléon, intitulée Relation historique des événements du 30 octobre 1836. Cette publication est un brûlot destiné à provoquer le régime en faisant l’apologie du bonapartisme, centré autour du triptyque nation, peuple et autorité. Dans la propagande bonapartiste ainsi présentée, la démocratie, définie comme « le gouvernement d’un seul par la volonté de tous », s’oppose à la république supposée être, pour Louis-Napoléon, « le gouvernement de plusieurs obéissant à un système ». En réaction, la brochure est saisie par les autorités alors que Laity est arrêté, traduit devant la Cour des pairs pour attentat contre la sûreté de l’État et condamné à 5 ans de détention et 10 000 francs d’amende le 11 juillet 1838.
À la suite de cet incident, le gouvernement français demande à la Suisse, au début du mois d’août 1838, l’expulsion du prince Louis-Napoléon et, sûr de l’appui de l’Autriche, menace la confédération d’une rupture des relations diplomatiques et même d’une guerre, allant jusqu’à concentrer dans le Jura une armée de 25 000 hommes. Le gouvernement suisse, indigné, invoque la qualité de bourgeois de Thurgovie du prince. En définitive, celui-ci annonce, le 22 août, son intention de s’installer en Angleterre ce qui permet au gouvernement de Berne de déclarer l’incident clos sans avoir eu à céder aux exigences françaises.
Ayant hérité de sa mère, Louis-Napoléon a les moyens d’imprimer à 50 000 exemplaires une brochure détaillant son programme politique, Les Idées napoléoniennes, dans laquelle il fait de Napoléon Ier le précurseur de la liberté. Au début de 1840, l’un de ses partisans les plus fidèles, Fialin, lance à son tour ses Lettres de Londres, qui exaltent ce prince qui « ose seul et sans appui, entreprendre la grande mission de continuer l’œuvre de son oncle ».
Échec de la tentative de soulèvement de la garnison de Boulogne-sur-Mer
La tentative de Boulogne.
Depuis Londres, le prince prépare une nouvelle tentative de coup d’État. Voulant profiter du mouvement de ferveur bonapartiste suscité par la décision du cabinet Thiers de rapporter de Sainte-Hélène les cendres de l’empereur, il débarque dans la nuit du 5 au 6 août 1840 entre Boulogne-sur-Mer et Wimereux, en compagnie de quelques comparses, parmi lesquels un compagnon de Napoléon Ier à Sainte-Hélène, le général de Montholon, avec l’espoir de rallier le 42e régiment de ligne.
La tentative de ralliement du 42e est un échec total. Cernés par la gendarmerie, les hommes du 42e régiment et la garde nationale, plusieurs conjurés sont tués ou blessés tandis que Louis-Napoléon est lui-même touché par une balle. Arrêtés et écroués sur ordre du procureur Hubert Legagneur, les conjurés sont traduits en justice. Leur procès se tient devant la Chambre des pairs du 28 septembre au 6 octobre, dans une indifférence générale. Le prince, défendu par le célèbre avocat légitimiste Pierre-Antoine Berryer, prononce un discours dans lequel il déclare : « Je représente devant vous un principe, une cause, une défaite. Le principe, c’est la souveraineté du peuple, la cause celle de l’Empire, la défaite Waterloo. Le principe, vous l’avez reconnu ; la cause, vous l’avez servie ; la défaite, vous voulez la venger. […] Représentant d’une cause politique, je ne puis accepter, comme juge de mes volontés et de mes actes, une juridiction politique. […] Je n’ai pas de justice à attendre de vous, et je ne veux pas de votre générosité »48. Il n’en est pas moins condamné à l’emprisonnement à perpétuité.
La détention au fort de Ham
Louis-Napoléon à la forteresse de Ham.
Ses conditions de détention sont assez confortables. Il bénéficie pendant son internement à la forteresse de Ham — qu’il appelle plus tard « l’Université de Ham » — d’un appartement de plusieurs pièces. Il peut correspondre avec l’extérieur, reçoit des visites et des livres. Don Francisco Castellon, missionné par trois pays d’Amérique centrale, obtient la permission de le visiter pour lui proposer d’étudier une jonction entre les deux océans, pour laquelle le futur empereur s’est déjà passionné, le projet de canal du Nicaragua.
Il met à profit cette captivité pour se consacrer à l’étude et faire avancer sa cause dans l’opinion par l’écriture de brochures et d’articles dans les revues locales. Il écrit notamment Extinction du paupérisme (1844), ouvrage influencé par les idées saint-simoniennes et développant un moyen populiste pour accéder au pouvoir : « Aujourd’hui, le règne des castes est fini, on ne peut gouverner qu’avec les masses ».
Le 25 mai 1846, après six années de captivité, il s’évade de sa prison avec le concours d’Henri Conneau, en empruntant les vêtements et les papiers d’un peintre nommé Pinguet. Les caricaturistes du Second Empire transforment plus tard le nom de celui-ci en Badinguet, qui évoque un plaisantin, pour en affubler l’empereur en rappelant son passé de conspirateur. Avant que sa fuite soit découverte, il est déjà en Belgique et, le lendemain, en Angleterre.
La Révolution de 1848
Il s’établit à Londres où il apprend la mort de son père à Livourne, le 25 juillet 1846. C’est durant cette période, moins active politiquement, que Louis-Napoléon rencontre Miss Harriet Howard, qui partage sa vie jusqu’en 1853. La Révolution française de 1848, qui met fin à la monarchie de Juillet, fournit au prince l’occasion de revenir une première fois en France à la fin du mois de février puis de voir sa candidature présentée par ses partisans aux élections de députés à l’Assemblée nationale.
En 1846, Don Francisco Castellon lui transmet les pouvoirs du gouvernement nicaraguayen pour organiser une société européenne pour le projet de canal du Nicaragua, qui doit recevoir le nom de « Canal Napoléon du Nicaragua ». Le futur empereur français y travaille sérieusement, sous la forme d’un mémoire rédigé avec des ingénieurs. Il prévoit de se rendre au Nicaragua mais la Révolution de 1848 modifie ses projets. Il en reparlera en 1852 à l’industriel français du chocolat Antoine Brutus Menier, dont le fils Émile-Justin Menier fera avancer le canal du Nicaragua mais sans parvenir à le concrétiser, car une concession a été accordée à des Américains.
Président de la République puis prince-président
Louis-Napoléon Bonaparte en 1848.
Le 4 juin 1848, candidat à l’Assemblée nationale constituante, Louis-Napoléon Bonaparte est élu dans quatre départements : la Seine, l’Yonne, la Charente-Inférieure et la Corse. Ses cousins les princes Napoléon-Jérôme, Pierre Bonaparte et Lucien Murat sont aussi parmi les nouveaux élus. L’élection de Louis-Napoléon est suivie de manifestations populaires qui inquiètent la nouvelle assemblée composée de 900 élus dont 500 républicains modérés, 300 monarchistes (orléanistes et légitimistes), une centaine de républicains démocrates et socialistes ainsi qu’une poignée de bonapartistes. Le 12 juin, Alphonse de Lamartine propose à ses collègues parlementaires de rendre exécutoire la loi d’exil du 10 avril 1832 qui interdisait le territoire français aux membres des familles ayant régné sur la France dans le cas où Louis-Napoléon s’aviserait de rentrer. Sa proposition est finalement rejetée. Le lendemain, la validation de l’élection, soumise à accord de l’assemblée, est acquise à une large majorité comprenant notamment les républicains Jules Favre et Louis Blanc. Néanmoins, le 16 juin, accusé d’appeler à la révolte, Louis-Napoléon annonce renoncer à remplir son mandat. Il a ainsi la chance de ne pas être compromis dans la répression sanglante des ouvriers parisiens révoltés lors des journées insurrectionnelles des 22-26 juin (Journées de Juin) dont le bilan s’élève à environ 5 000 insurgés tués ou fusillés, environ 1 500 soldats tués, 25 000 arrestations et 11 000 condamnations à la prison ou à la déportation en Algérie. Ces Journées de juin creusent alors un fossé temporairement infranchissable entre les autorités de la République et les ouvriers.
Louis-Napoléon décide alors de se présenter aux élections législatives intermédiaires des 17 et 18 septembre 1848. Candidat dans les quatre départements qui l’avaient déjà élu en juin, il est aussi candidat en Moselle. Élu dans ces cinq départements, il obtient en tout 300 000 voix provenant également des départements de l’Orne, du Nord et de la Gironde où il n’était pourtant pas candidat. Il rentre alors en France et s’installe à Paris le 24 septembre. Le lendemain, son élection est validée à l’unanimité par l’Assemblée où il peut enfin siéger.
Campagne électorale 1848 : Bonaparte contre Cavaignac
À la suite de la promulgation, le 4 novembre 1848, de la constitution de la IIe République, Louis-Napoléon Bonaparte est candidat à l’élection présidentielle, la première au suffrage universel masculin en France. Ses adversaires sont Louis Eugène Cavaignac (républicain modéré), Alphonse de Lamartine (républicain), Alexandre Ledru-Rollin (républicain avancé), François-Vincent Raspail (socialiste) et Nicolas Changarnier (royaliste légitimiste).
Durant la campagne, qu’il fait financer par son amie anglaise Miss Harriet Howard et par le marquis Pallavicini, le prince prend de nombreux contacts (Proudhon, Odilon Barrot, Charles de Montalembert, etc.) et parvient à recevoir le soutien du parti de l’Ordre, à commencer par Adolphe Thiers, mais aussi le soutien de Victor Hugo pour qui, alors, le nom de Napoléon ne peut se rapetisser60. Les votes ont lieu les 10 et 11 décembre 1848 et les résultats proclamés le 20 décembre.
Louis-Napoléon est élu pour quatre ans avec 5 572 834 voix (74,2 % des voix) contre 1 469 156 voix à Cavaignac (19,6 %), 376 834 voix à Ledru-Rollin (5 %), 37 106 voix à Raspail (0,5 %) et quelque 20 000 voix à Lamartine (0,3 %).
Premier président de la République, âgé de 40 ans et 8 mois, il reste à ce jour encore le plus jeune à avoir occupé cette fonction. Son élection profite à la fois de l’adhésion massive des paysans, de la division d’une opposition hétérogène (gaucheNote 12, modéréeNote 13 ou royaliste), et de la légende impériale, surtout depuis le retour des cendres de Napoléon Ier en 1840. Si quatre départements ne donnent pas la majorité relative à Louis-Napoléon (Finistère, Morbihan, Var et Bouches-du-Rhône), une vingtaine, essentiellement situés dans le sud-est et l’ouest, ne lui accordent pas de majorité absolue alors que dans 34 départements, il dépasse les 80 % des suffrages62. Son électorat, bien que majoritairement paysan, se révèle hétéroclite mêlant bourgeois hostiles aux partageux, citadins des petites villes et ouvriers parisiens. D’ailleurs à Paris, il réalise un score homogène, recueillant autant de voix dans les beaux quartiers de l’ouest que dans ceux ouvriers de l’est.
Louis-Napoléon, qui s’est « toujours donné, en parole et en acte comme héritier de l’Empire » prête serment à l’Assemblée constituante le 20 décembre 1848 et « jure fidélité à une Constitution formellement contraire à “son destin” ». Devant les représentants, qui ne savent pas s’ils assistent à une conversion ou à un parjure et l’applaudissent donc peu64, il devient le premier président de la République française et, par conséquent, le premier à s’installer le soir même au palais de l’Élysée, choisi de préférence aux symboles monarchiques qu’étaient le palais des Tuileries et le Palais-Royal.
L’homme qui accède alors à la présidence se pense doublement légitime : d’une part parce qu’il est un héritier, celui de l’empereur Napoléon Ier, et d’autre part parce qu’il est le premier élu du peuple tout entier, adoubé par le suffrage universel masculin. Comme son oncle, le président Louis-Napoléon Bonaparte adhère aux principes juridiques et sociaux de 1789 ; comme lui, il pense qu’ils doivent « être complétés par un pouvoir politique fort » et, comme lui, il est patriote et pense que la France est porteuse de valeurs. Par contre, en raison de son héritage et de son éducation maternelle, il croit au progrès, pense que l’État a un devoir d’intervenir pour faire face au paupérisme engendré par la modernité industrielle et admire l’Angleterre.
Ces éléments, son activisme et son réformisme social le rapprochent des républicains mais le fait qu’il soit un prétendant à la restauration de la monarchie impériale héréditaire empêche toute alliance avec eux et l’amène à pactiser avec le parti de l’Ordre tout en étant aussi son opposant.
Son élection est suivie de près à la Bourse de Paris, ou le cours du principal titre coté, la rente 5%, bondit de 65 à 80 en quelques jours.
La confrontation entre le Président et l’Assemblée
Portrait officiel du président Louis-Napoléon Bonaparte.
La constitution de 1848 limite largement les pouvoirs du président qui est soumis soit à l’Assemblée soit au Conseil d’État. Dès son installation, Louis-Napoléon reprend l’apparat impérial, circulant à bord de coupés aux armoiries napoléoniennes et choisissant comme tenue officielle l’uniforme de général en chef de la garde nationale comprenant bicorne à plume, grand cordon et plaque de la légion d’honneur. Célibataire, sa compagne britannique Miss Howard ne peut prétendre au rôle de première dame et d’hôtesse de l’Élysée qui est finalement exercé par sa cousine, la princesse Mathilde. Si un homme vient à prendre de l’importance dans l’entourage de Louis-Napoléon, c’est son demi-frère adultérin, l’homme d’affaires et ancien député Charles de Morny, dont Louis-Napoléon a découvert l’existence après le décès de sa mère et qui le rencontre pour la première fois en janvier 1849, à l’Élysée, avant de devenir un peu plus tard l’un des conseillers.
Dans le cadre de ses pouvoirs exécutifs, Louis-Napoléon demande à Thiers de former le premier gouvernement de la présidence mais celui-ci refuse. Aucun dirigeant orléaniste ne souhaite diriger le cabinet, ni aucun des républicains approchés par le président. C’est finalement Odilon Barrot, ancien chef de l’opposition constitutionnelle, qui accepte de diriger un gouvernement de mouvance orléaniste (Léon Faucher, Léon de Maleville, etc.) comprenant un républicain (Jacques Alexandre Bixio) et un membre du parti catholique (le comte de Falloux). Aucun membre de ce gouvernement n’appartient à la mouvance du président, ce qui lui donne le nom de ministère de la captivité, selon l’appellation donnée par Émile Ollivier au motif que Louis-Napoléon en est le captif, encerclé par les hommes du parti de l’Ordre. L’un des leurs, le général Nicolas Changarnier, prend d’ailleurs la tête de la Garde nationale et de la division de Paris.
L’assemblée élue en 1848 tarde à se dissoudre et, à partir du 24 janvier, les tensions montent entre le gouvernement et les élus. L’épreuve de force est évitée de justesse à la fin du mois de janvier quand le général Changarnier, commandant de la garde nationale, prend l’initiative de rassembler les troupes autour de l’assemblée sous prétexte de la défendre contre un éventuel mouvement populaire. La pression de Changarnier, soupçonné de part et d’autre de préparer un coup d’État militaire, incite le chef de l’État, le gouvernement et les députés à négocier. Ces derniers acceptent finalement, à une courte majorité, de se séparer.
L’expédition militaire de Rome et les élections législatives
Le Président Bonaparte.
La campagne des élections est perturbée par le déclenchement de l’expédition militaire à Rome que le gouvernement Barrot a initialement engagée comme une opération de couverture de la république romaine avec pour mission de s’interposer entre les volontaires républicains de Giuseppe Garibaldi et l’armée autrichienne venue secourir le pape Pie IX, chassé de Rome par les républicains. Le corps expéditionnaire français de 14 000 hommes, débarqué le 24 avril à Civitavecchia et dont la mission est en fait mal définie, fait alors face à la résistance des troupes républicaines sous le commandement de Garibaldi qui l’accueillent à coups de canon. Le 30 avril, le général Nicolas Oudinot est obligé de battre en retraite devant Rome laissant derrière lui plus de 500 morts et 365 prisonniers. Informé des événements, Louis-Napoléon accepte toutes les requêtes de renfort demandées par Oudinot et, sans consulter ses ministres, lui demande de rétablir la puissance temporelle du pape. Outrés, 59 députés républicains exigent la mise en accusation du président français. Conjointement avec l’Assemblée, le président envoie également en Italie un nouvel ambassadeur plénipotentiaire, le baron Ferdinand de Lesseps, chargé de trouver une trêve avec les républicains romains. Ces décisions sont prises rapidement en raison de la proximité des élections législatives françaises organisées le 13 mai, la restauration du pape étant devenue l’un des principaux thèmes du débat électoral. Ces élections doivent permettre aussi de trancher entre le président et l’assemblée sortante à majorité républicaine. Le scrutin, marqué par un fort taux d’abstention (31 %), se traduit par l’éviction de la majorité des sortants, dont Lamartine, et la victoire de l’Union libérale (59 %) dominée par le parti de l’Ordre (53 % des voix et environ 450 élus dont 200 légitimistes sur un total de 750 députés), par l’effondrement des républicains modérés (environ 80 élus) et la progression des démocrates-socialistes (34 % des suffrages soit environ 250 élus).
La journée du 13 juin 1849 et ses suites
Portrait officiel du président Louis-Napoléon.
Ce « crétin que l’on mènera », selon l’expression d’Adolphe Thiers qui l’avait soutenu durant la campagne présidentielle parce qu’il croyait pouvoir l’utiliser en lui procurant de l’argent et des femmes avant de le remplacer au terme de son mandat, s’avère finalement beaucoup plus intelligent et retors. Après les élections de mai, Louis-Napoléon reconduit Odilon Barrot à la direction de son deuxième gouvernement comprenant notamment Alexis de Tocqueville (nommé aux Affaires étrangères) et Hippolyte Passy (confirmé aux finances). La nouvelle assemblée refuse de ratifier la trêve et l’accord négocié par de Lesseps tandis qu’Oudinot reprend l’offensive contre les troupes de Garibaldi avec, pour mission claire, cette fois, de rétablir le pouvoir temporel du pape. Les répercussions, en France, de cette expédition militaire atteignent leur paroxysme le 13 juin 1849 quand, à l’issue du vote de l’assemblée approuvant le renforcement de crédits financiers à l’expédition militaire contre la République romaine, un groupe de députés démocrates-socialistes, sous l’égide d’Alexandre Ledru-Rollin, réclame la mise en accusation du président de la République et du ministère d’Odilon Barrot, à qui ils reprochent de violer l’article 5 du préambule de la constitution selon laquelle la République « respecte les nationalités étrangères, comme elle entend faire respecter la sienne ; n’entreprend aucune guerre dans des vues de conquête, et n’emploie jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple ». La manifestation républicaine organisée sur les grands boulevards de Paris ayant été dispersée par les troupes du général Changarnier, plusieurs députés républicains se retranchent alors au Conservatoire national des arts et métiers où ils décident de siéger en convention et de constituer un gouvernement provisoire. Au bout de trois quarts d’heure, ils sont néanmoins obligés de prendre la fuite. L’échec de cette journée de manifestation entraîne de nouvelles mesures de répression, qui achèvent de désorganiser l’extrême gauche. Six journaux sont supprimés et, le 19 juin, l’assemblée adopte une loi sur les clubs permettant au gouvernement de suspendre la liberté d’association pour un an. Le 27 juillet, une loi complémentaire sur la presse est votée, instituant de nouveaux délits et réglementant sévèrement le colportage. Enfin, le 9 août, une autre loi autorise le gouvernement à proclamer l’état de siège avec un minimum de formalités. Les responsables républicains impliqués dans la journée du 13 juin sont déférés devant la Haute Cour de justice de Versailles qui siège du 12 octobre au 15 novembre. Sur 67 accusés dont 16 députés, poursuivis pour « avoir participé à un complot ayant pour but 1° de détruire ou de changer la forme du gouvernement ; 2° d’exciter à la guerre civile, en armant ou portant les citoyens à s’armer les uns contre les autres », 31 seulement sont présents. Les 16 députés sont déchus de leurs mandats électoraux tandis que Ledru-Rollin et 35 autres accusés absents sont condamnés par contumace à la déportation.
Les premiers voyages présidentiels en province
Louis-Napoléon Bonaparte se tient en retrait durant tout l’été 1849, laissant les hommes du parti de l’Ordre et l’assemblée voter toutes les lois permettant de renforcer l’ordre social. Pour se faire réellement connaître des Français et diffuser ses idées politiques, il inaugure en province des voyages de type présidentiel, profitant notamment du développement du chemin de fer. Soucieux de conforter sa popularité, il parcourt ainsi l’Hexagone, se faisant acclamer par la foule et les soldats. Partout où il se rend (Chartres, Amiens, Angers, Tours, Nantes, Rennes, Saumur, Rouen, Le Havre), il prêche avec des formules simples et directes la concorde et l’union de tous les citoyens, inaugurant ainsi une technique langagière éloignée des harangues rhétoriques utilisées par les représentants de la classe politique traditionnelle. Il écarte, à cette époque, une proposition de Changarnier qui l’assure de son soutien dans un éventuel coup de force contre l’assemblée. La popularité du président est à son zénith, ce qui permet à la presse bonapartiste de commencer à militer pour la prolongation du mandat présidentiel. Durant ses déplacements, il est parfois accompagné discrètement de sa compagne, Miss Howard. Celle-ci fréquente peu le palais de l’Élysée et réside dans un hôtel particulier de la rue du Cirque où elle vit avec Louis-Napoléon et reçoit les familiers du président.
Politiquement, il se démarque un peu plus du parti de l’Ordre et de l’Assemblée, encore une fois à cause de la question romaine. En août, sa lettre de soutien à la « liberté italienne » contre le rétablissement de l’absolutisme du pouvoir temporel du pape lui accorde le soutien de la gauche et la désapprobation du gouvernement et de la majorité parlementaire. Le 31 octobre 1849, il obtient la démission d’Odilon Barrot puis la formation d’un nouveau gouvernement formé par le général Alphonse Henri, comte d’Hautpoul, un légitimiste vétéran des guerres napoléoniennes. C’est le « ministère des Commis », lié au duc de Morny, dans lequel on trouve Ferdinand Barrot, frère d’Odilon Barrot, mais aussi Eugène Rouher. La désignation de Victor Hugo à un poste ministériel est néanmoins écartée, au grand dam de ce dernier, à la suite de son discours incendiaire tenu contre le parti de l’Ordre à l’Assemblée dix jours plus tôt. Sa désignation aurait en effet été perçue comme une provocation par la majorité conservatrice, mais l’ancien pair du royaume tire de sa récusation ministérielle des implications politiques et personnelles lourdes de conséquences pour le président.
La loi Falloux et la loi électorale du 31 mai 1850
Même si le gouvernement est dévoué à Louis-Napoléon, il n’en reste pas moins que c’est l’assemblée qui vote les lois que le gouvernement doit ensuite appliquer. Profitant de sa position dominante, l’assemblée conservatrice approuve, le 15 mars 1850, par 399 voix contre 237, la loi Falloux sur la liberté de l’enseignement, favorisant de fait l’influence du clergé. N’ayant aucun intérêt à heurter ce dernier ou l’électorat catholique, le président ne songe pas à émettre de réserves. C’est également le cas pour la loi du 31 mai 1850, limitant le suffrage universel masculin. En imposant une résidence de trois ans pour les électeurs et en multipliant les cas de radiation des listes (vagabondage, condamnation pour rébellion ou atteinte à l’ordre public, etc.), la nouvelle loi élimine 30 % du corps électoral dont beaucoup sont des artisans et des ouvriers saisonniers. Cependant, même si les éliminés sont en grande partie des électeurs de la « tendance démocrate-socialiste », on y trouve aussi des partisans légitimistes ou des napoléoniens, partisans de la « démocratie plébiscitaire ». Dans un premier temps, « Louis-Napoléon laissa faire et même favorisa la manœuvre qui privait l’ennemi commun de moyen d’action légale »86 mais, dans un second temps, il « ne tarda pas à s’en désolidariser ». Cette compromission avec les membres du parti de l’Ordre ne peut pas beaucoup lui plaire d’autant plus que le suffrage populaire est l’un de ses principes et que la nouvelle loi lui retire ses électeurs. Convaincu de pouvoir remporter une prochaine élection présidentielle avec une majorité considérable, la loi électorale qui vient d’être adoptée par l’Assemblée « demeurait à ses yeux temporaires et de toute circonstance » dans un contexte où les républicains ne peuvent accéder au pouvoir « ni par l’insurrection ni par l’élection ». Durant sa tournée hexagonale de l’été, Louis-Napoléon constate l’effervescence qui monte dans les provinces. Au cours du voyage présidentiel qu’il effectue dans l’est, il critique l’Assemblée nationale en déclarant « Mes amis les plus sincères, les plus dévoués ne sont pas dans les palais, ils sont sous le chaume ; ils ne sont pas sous les lambris dorés, ils sont dans les ateliers et dans les campagnes ». À Lyon, dans une ville qui ne lui est pas acquise, il déclare que « l’élu de 6 millions de suffrages exécute les volontés du peuple et ne les trahit pas », manière pour lui de désavouer publiquement la nouvelle loi électorale. En septembre 1850, en Normandie, terre acquise et conservatrice, il se pose en mainteneur de l’état des choses existant pourvu que le peuple veuille le laisser au pouvoir, multipliant les allusions à une évolution politique à venir en référence aux vœux exprimés par des conseils généraux sollicités en faveur d’une révision constitutionnelle pour permettre la réélection du président.
Au début de l’automne 1850, le conflit larvé entre le président et l’Assemblée est devenu une guerre ouverte. Durant l’été, l’Assemblée a adopté plusieurs autres lois liberticides (loi du 16 juillet 1850 sur la liberté de la presse, loi du 30 juillet 1850 sur la censure des théâtres). À son retour à Paris, Louis-Napoléon s’attache à organiser ses partisans déclarés, rassemblés notamment au sein de la Société du 10 décembre et de celle du 15 août, et à mettre l’armée de son côté, multipliant les promesses d’avancement et les augmentations de solde.
La Revue de Satory et ses conséquences
Le 10 octobre 1850, lors de la revue de Satory, la cavalerie salue le chef de l’État en clamant « Vive Napoléon ! Vive l’Empereur ! » à la fureur de Changarnier, qui, depuis 1849, s’est éloigné du président et est passé dans le camp de la majorité parlementaire pour laquelle il est censé représenter le bras armé de la restauration monarchique. Changarnier commet un impair en tentant d’organiser un coup de force, proposant avec plusieurs membres de la commission de permanence de l’Assemblée de faire arrêter le président alors que Thiers propose de mettre en place une dictature pour une période de six mois. De provocations en provocations, Changarnier tente de pousser Louis-Napoléon à la faute. Habilement, ce dernier isole le commandant de la garde nationale de ses plus fidèles lieutenants et annonce son intention de le destituer le 3 janvier 1851, provoquant au passage la démission de plusieurs ministres. Le 10 janvier, le décret de destitution est validé tandis que le gouvernement est remanié. L’affrontement avec les députés menés par Thiers se conclut par le vote d’une motion de défiance envers le cabinet par 415 voix contre 286. Louis-Napoléon ne passe pas outre, résiste aux sollicitations de Persigny d’employer la force et accepte la démission du gouvernement, remplacé par un « petit ministère », composé de techniciens et de fonctionnaires, entré dans l’Histoire sous le nom de « ministère sans nom ». En échange de cette preuve d’apaisement de la part du président, l’Assemblée entérine la destitution de Changarnier. Néanmoins, Louis-Napoléon ressort victorieux de cette confrontation avec l’Assemblée, cette dernière ayant perdu celui qui faisait office de bras armé. Il pense alors pouvoir pousser son avantage et obtenir une modification des règles constitutionnelles qui lui permettrait de briguer un second mandat.
L’affrontement de 1851
Louis-Napoléon, président.
La confrontation entre le président et l’Assemblée
Depuis qu’il a été élu au suffrage universel masculin avec 74 % des voix, avec le soutien du Parti de l’Ordre, « président des Français » en 1848 contre Louis Eugène Cavaignac, Louis-Napoléon Bonaparte s’est retrouvé en confrontation politique perpétuelle avec les députés de l’Assemblée nationale. Ainsi, déjà endetté lors de sa prise de fonction, Louis-Napoléon n’avait cessé de demander l’augmentation de son traitement. D’abord de 600 000 francs, son traitement annuel avait rapidement été doublé à 1,2 million de francs. En 1850, il demande un nouveau doublement à 2,4 millions de francs, et l’Assemblée lui donne finalement 2,16 millions. En 1851, il demande encore une augmentation, cette fois de 1,8 million de francs supplémentaires (pour un total de 3,96 millions), que l’Assemblée refuse finalement par 396 voix contre 294.
La tentative de réforme constitutionnelle
La constitution établissant la non-rééligibilité du président, Louis-Napoléon doit légalement quitter le pouvoir en décembre 1852. Comme les élections législatives doivent avoir lieu la même année, l’assemblée vote le principe de tenir les deux élections à la même date, le 2 mai 1852, soit sept mois avant la fin théorique du mandat présidentiel. Durant l’année 1850, afin de permettre la réélection du président de la République, le gouvernement Hautpoul demande aux préfets de mettre à l’ordre du jour des réunions des conseils généraux des départements l’adoption d’un vœu de révision de la constitution de 1848. Ce faisant, il entre en conflit avec une partie des parlementaires peu favorables à une telle réforme des institutions. Au début de l’année 1851, la classe politique dans son ensemble, à l’exception des républicains, est cependant convertie à l’idée d’une révision constitutionnelle pour supprimer la clause de non-rééligibilité du président de la République, le risque de voir Louis-Napoléon se représenter illégalement et remporter la majorité des suffrages populaires étant réel. Dans sa volonté de réformer la constitution, le président a le soutien d’Odilon Barrot, du comte de Montalembert et d’Alexis de Tocqueville. La première moitié de l’année 1851 est ainsi passée à proposer des réformes de la constitution afin qu’il soit rééligible et que son mandat passe de 4 à 10 ans. Or, à cette demande de révision constitutionnelle, le président ajoute l’abrogation de la loi électorale du 31 mai 1850 qui a supprimé le suffrage universel. Sur ce point, les résistances sont plus nombreuses et exprimées au sein même du parti de l’Élysée.
Le 11 avril 1851, Louis-Napoléon Bonaparte remplace le « ministère sans nom » par une nouvelle équipe ouverte aux membres du parti de l’Ordre, à commencer par Léon Faucher, dans le but de rallier le vote conservateur mais c’est un échec, Faucher lui-même restant hostile à l’abrogation d’un texte qu’il avait défendu un an auparavant. À la suite d’une vaste campagne de pétition recueillant 1 456 577 signatures sur l’ensemble du territoire national (avec une prépondérance de signatures en provenance du bassin parisien, de l’Aquitaine et du Nord), le duc de Broglie dépose, le 31 mai 1851, à l’assemblée, une proposition de loi soutenue par 233 députés pour réviser la constitution et ainsi rendre rééligible le président de la République. Louis-Napoléon lui-même ne reste pas inactif et se rend en province où ses discours, en forme de manifeste et d’appel au peuple, provoquent la fureur des conservateurs. Ainsi s’en prend-il, à Dijon, à « l’inertie de l’Assemblée législative » et se met-il « à la disposition de la France »80. Si les deux tiers des conseils généraux se rallient à sa cause, les orléanistes de Thiers et légitimistes de Changarnier s’allient à la fraction ouverte de gauche « Montagne parlementaire » pour le contrer.
Le 21 juillet 1851, au bout d’un mois de débat, l’Assemblée se prononce sur la réforme constitutionnelle. Bien qu’obtenant une majorité de 446 voix en sa faveur (dont celle d’Alexis de Tocqueville) contre 278 voix opposées, la révision constitutionnelle n’est pas adoptée, faute d’avoir obtenu plus de 3/4 des suffrages des députés, seuil exigé par la constitution. Il manque aux partisans de la révision une centaine de voix, dont celles des orléanistes intransigeants comme Charles de Rémusat et Adolphe Thiers.
La marche vers le coup d’État
Si les rumeurs de coup d’État ont commencé à circuler au début de l’année 1851, c’est à partir de l’échec de la révision constitutionnelle que la certitude d’une épreuve de force, dont l’initiative partirait de l’Élysée, s’impose dans le grand public101. Celle-ci est minutieusement préparée à partir du 20 août 1851 à Saint-Cloud. Les initiés sont peu nombreux et regroupés autour du duc de Morny. On y trouve Victor de Persigny, un fidèle de Louis-Napoléon, Eugène Rouher, Émile Fleury, Pierre Carlier, le préfet de police de Paris et le général de Saint-Arnaud.
Conseillé par Morny, Louis-Napoléon entend redemander à l’Assemblée nationale de rétablir le suffrage universel masculin et d’abroger ainsi la loi électorale de 1850. Léon Faucher, qui refuse de soutenir l’initiative présidentielle, démissionne le 12 octobre, suivi des autres ministres du gouvernement. Un nouveau cabinet est formé le 27 octobre comprenant trois représentants de l’Assemblée et le général de Saint-Arnaud, nommé au ministère de la Guerre. Ce dernier rappelle aux militaires leur devoir « d’obéissance passive », le 1er novembre 1851, par une circulaire qui demande de « veiller au salut de la société ». D’autres proches sont placés aux postes clés : le général Magnan est nommé commandant des troupes de Paris ; le préfet de la Haute-Garonne, Maupas, est promu préfet de police de Paris en remplacement de Carlier.
Pendant ce temps, la proposition d’abrogation de la loi électorale est déposée à l’Assemblée le 4 novembre 1851. Elle est rejetée le 12 novembre par 355 voix contre 348, soit seulement par 7 voix de majorité.
Alors que des députés demandent la mise en accusation du président de la République, Thiers et ses amis tentent de réactiver un décret de la Constituante, tombé en désuétude, qui donnait au président de l’Assemblée le droit de requérir directement l’armée sans avoir à en référer au ministre de la guerre. Pour Louis-Napoléon, c’est une déclaration de guerre et un plan d’action est immédiatement mis au point pour mettre l’assemblée en état de siège au cas où une telle loi serait adoptée. La proposition est finalement repoussée par 408 voix (la majorité des républicains, les bonapartistes et de nombreux royalistes) contre 338 (la majorité des orléanistes et des légitimistes).
Convaincu de la nécessité d’un coup d’État du fait des derniers refus de l’Assemblée, Louis-Napoléon le fixe lui-même pour le 2 décembre, jour anniversaire du sacre de Napoléon Ier en 1804 et de la victoire d’Austerlitz en 1805. L’opération est baptisée Rubicon.
Coup d’État du 2 décembre 1851
Le coup d’État à Paris
Cavalerie dans les rues de Paris le 2 décembre 1851.
Dans la nuit du 1er au 2 décembre, les troupes de Saint-Arnaud prennent possession de la capitale, occupent les imprimeries (notamment pour empêcher les journaux républicains de paraître)107, procèdent aux premières arrestations de 78 personnes, parmi lesquelles figurent 16 représentants du peuple dont Thiers mais aussi les chefs de la Montagne et des militaires comme Changarnier qui auraient pu mener une résistance. Vers 6 h 30, des proclamations sont placardées sur les murs de Paris. Se fondant sur la crise politique qu’à son sens subit le pays, Louis-Napoléon dénonce l’Assemblée parlementaire et lui oppose la légitimité qu’il a lui seul reçue du pays tout entier lors de l’élection présidentielle de 1848112. Dans son « appel au peuple » à destination des Français, il annonce une réforme de la constitution sur le modèle du consulat de son oncle de même que son intention de préserver les droits acquis en 1789 tout en faisant respecter l’ordre dans le pays. Une autre des proclamations placardées est destinée à l’armée qu’il salue comme une « élite de la nation que les régimes ayant succédé à l’Empire ont traitée en vaincue »114. Ses décrets imposent également la dissolution de l’Assemblée nationale et le rétablissement du suffrage universel masculin.
Le siège de l’Assemblée étant occupé par la troupe, 220 parlementaires, essentiellement du parti de l’Ordre, se réfugient à la mairie du 10e arrondissement. Se fondant sur l’article 68 de la constitution, ils votent à l’unanimité la déchéance de Louis-Napoléon mais ils sont aussitôt arrêtés sans avoir appelé le peuple à se mobiliser. Au soir du 2 décembre, Paris n’a pas bougé alors qu’une soixantaine de députés montagnards et républicains forment un Comité de résistance et en appellent au peuple contre le coup de force. Des étudiants qui manifestent sont matraqués par la police.
Le 3 décembre, une vingtaine de parlementaires républicains, comme Victor Schœlcher ou Victor Hugo, tentent de soulever les quartiers populaires de Paris sans grand succès117. Quelque 70 barricades sont finalement érigées dans le faubourg Saint-Antoine et les quartiers du centre. Sur l’une d’elles, le député Alphonse Baudin est tué par des tirs de soldats. Au soir du 3 décembre, le nombre d’insurgés ne dépasse guère 1 000 ou 1 500 hommes, pour la plupart aguerris depuis 1848 aux barricades.
Dans la nuit du 4 décembre, environ 30 000 soldats sont déployés dans les zones tenues par les insurgés parisiens, principalement l’espace compris entre les grands boulevards et la Seine ainsi qu’au jardin du Luxembourg et à la montagne Sainte-Geneviève.
La journée du 4 décembre est marquée par la fusillade des grands boulevards où les soldats de la division Canrobert se sont rassemblés et côtoient une foule où se mêlent curieux et manifestants qui pour certains prennent à partie la troupe en exclamant « Vive la Constitution ! Vive l’Assemblée nationale ! ». Profondément « énervés par cette attitude hostile ou goguenarde », les soldats de la division Canrobert, « sans en avoir reçu l’ordre et au prétexte de tirs isolés » s’affolent, ouvrent le feu avant de faire usage d’un canon, perpétrant une effroyable fusillade du boulevard de Bonne-Nouvelle au boulevard des Italiens avant que des maisons ne soient « fouillées à la baïonnette. ». Le carnage fait entre 100 et 300 morts et des centaines de blessés.
Au soir du 4 décembre, la plupart des insurgés ont été écrasés. Le bilan de ces journées parisiennes est de 300 à 400 personnes tuées, aux 2/3 des ouvriers, auxquels s’ajoutent 26 tués et 184 blessés parmi les soldats. Le nombre de victimes reste néanmoins très éloigné des 5 000 morts des journées de juin 1848. Le Moniteur (ancêtre du Journal officiel) reconnaît plus tard le chiffre de 380 tués, la plupart sur les boulevards.
Dans son ensemble, le monde du travail est resté passif et ne s’est pas mêlé au combat, laissant se dérouler le « règlement de comptes entre le président et l’Assemblée ». Pour Marx lui-même, la « dictature de l’Assemblée nationale était imminente », sa majorité comme sa minorité n’ayant d’ailleurs montré que peu de respect de la constitution et ne songeant qu’au coup de force et à l’insurrection. Paris est désormais sous contrôle militaire, en dépit de quelques mouvements sporadiques. Le 11 décembre, Victor Hugo s’exile à Bruxelles.
La répression
Trente-deux départements sont mis en état de siège dès le 8 décembre : tout le pouvoir est localement donné aux autorités militaires qui, en quelques jours, maîtrisent rapidement les zones de résistance républicaine. Pendant 15 jours, celles-ci sont réprimées et, ponctuellement, des insurgés sont fusillés sommairement. Selon l’historien Louis Girard, commence alors contre les républicains « une chasse à l’homme, avec son cortège de dénonciations et d’exécutions sommaires. Puis, jusqu’en janvier 1852, ce sont des arrestations massives non seulement dans les départements soulevés, mais sur tout le territoire ». Selon Maurice Agulhon, « le caractère massif et inique de la répression vint cependant de l’assimilation qui fut officiellement faite de l’insurrection effectivement accomplie à un complot républicain préparé de longue date ». Tous les républicains, même ceux n’ayant pas pris les armes, sont alors assimilés à des insurgés en puissance, des complices ou des inspirateurs à l’insurrection. En conséquence, les forces de l’ordre (armée, gendarmerie et police) raflent, de la mi-décembre à janvier, des milliers de suspects, qui encombrent les prisons. Les partisans de Louis-Napoléon sont aussi décidés à endiguer toute révolution sociale. C’est donc « une répression massivement conservatrice tout imprégnée des rancœurs du parti de l’Ordre » qui s’abat avant que les bonapartistes de gauche, à la fois progressistes et autoritaires, et certains républicains, comme George Sand, parviennent à obtenir, auprès de Louis-Napoléon, un adoucissement dans la répression et les sanctions.
Ainsi, dans un premier temps, 26 884 personnes sont arrêtées, essentiellement dans le Sud-Est, le Sud-Ouest et quelques départements du Centre, 15 000 sont condamnées dont 9 530 à la transportation en Algérie et 239 autres au bagne de Cayenne tandis que 66 députés (dont Hugo, Schœlcher, Raspail, Edgar Quinet) sont frappés de proscription par un décret présidentiel. Toutefois, les mesures de répression prononcées par les 82 commissions mixtes inquiètent Louis-Napoléon et lui-même est affecté par le bilan humain d’un succès payé au prix fort. Dans un second temps, Louis-Napoléon délègue en mission extraordinaire deux militaires de haut rang et un conseiller d’État, afin de réviser les décisions prises et préparer des mesures de grâce. Si les généraux Espinasse et Canrobert, chargés du Sud-Ouest et du Languedoc, font preuve de peu d’indulgence envers les condamnés avec un millier de grâces accordées, le conseiller d’État Quentin Bauchart, chargé du Sud-Est, accorde 3 400 grâces. Sollicité par toutes sortes d’influences, Louis-Napoléon Bonaparte use de son côté largement de son droit de grâce, souvent sur requête de tiers, à l’instar de ce que fit personnellement George Sand auprès du président. Le nombre des transportations en Algérie passe ainsi de 6 151 (chiffre représentant les transportations réellement effectuées137) à 3 006 et, en fin de compte, le nombre des républicains remis en liberté passe de 5 857 (libérés en janvier 1852) à 12 632 (au 30 septembre 1853).
Pour le président, il n’est pas dans ses intentions que le nouveau régime prenne une « tonalité autoritaire, anti-républicaine et conservatrice ». De fait, le futur Napoléon III reste obsédé par « le souvenir du serment violé, des morts de décembre, des brutalités de la répression » portant « le 2 décembre comme une tunique de Nessus » selon les mots de l’impératrice Eugénie. Politiquement, il tire profit de l’ambiguïté du mouvement de résistance qui, dans plusieurs départements, a revêtu le visage de la « révolte anarchique contre les riches ». Il parvient à présenter le coup d’État comme une opération préventive de sauvetage de la société et à rassembler autour de sa personne des courants d’opinions jusque-là divergents (Flahaut, Falloux, Montalembert, Gousset, etc.).
Les députés réfractaires, qui avaient voté un décret ordonnant la convocation de la haute cour de justice à la mairie du 10e arrondissement avant d’être arrêtés et incarcérés, sont rapidement libérés à l’exception des députés d’extrême-gauche et de quelques libéraux. Environ 70 personnalités de la gauche républicaine et quelques personnalités orléanistes sont condamnées à l’exil, rejoints par de nombreux intellectuels et par des membres de l’enseignement qui refusent de prêter le serment de fidélité au chef de l’État, exigé pour les fonctionnaires par le nouveau régime tandis que la nouvelle loi relative au régime de presse renforce les entraves à la liberté d’expression pour les titres politiques.
Le plébiscite
Conformément à sa proclamation au peuple, Louis-Napoléon rétablit le suffrage universel et convoque les électeurs (hommes) les 20-21 décembre, « 10 jours seulement après l’élimination des derniers nids de résistance », afin de se prononcer par plébiscite sur les réformes du « prince-président ». Face à la légalité constitutionnelle dont se prévalaient les défenseurs de la République, les bonapartistes opposent le suffrage universel, placé au-dessus de la Constitution, et la confiance directe manifestée par le peuple comme seule source de légitimité. La propagande bonapartiste ne manque pas également d’agiter la hantise du « péril rouge » et le thème de « sauveur de la Nation », appuyée par une administration zélée et une bonne partie du clergé catholique.
La consultation se déroule dans la terreur sur la partie du territoire encore en état de siège. Seuls les journaux favorables au plébiscite sont autorisés à paraître. Le président jouit cependant d’une réelle popularité auprès des paysans et la nature de la consultation ne laisse guère de choix entre l’état de fait accompli et le néant. Du coup, les civils sont autorisés à voter à bulletin secret alors que l’armée et la marine se prononcent à registres ouverts. Cependant, dans certaines régions, seuls les bulletins Oui sont imprimés, les Non devant être écrits à la main avant que le bulletin ne soit donné au président du bureau de vote pour qu’il le glisse lui-même dans l’urne.
À la suite du ralliement du clergé et de bon nombre des parlementaires de la majorité qui ont été arrêtés le 2 décembre et ont voté sa déchéance, le corps électoral se prononce favorablement sur la révision par 7 439 216 « oui » contre 640 737 « non » (résultats provisoires du 31 décembre 1851) ou 7 481 231 « oui » contre 647 292 « non », pour les résultats définitifs publiés par le décret du 14 janvier 1852 (pour environ 10 millions d’inscrits et 8 165 630 votants dont 37 107 nuls)150. Si les principaux foyers d’opposition se trouvent dans les grandes villes, le seul canton rural à voter en majorité pour le « non » est celui de Vernoux, dans l’Ardèche.
Selon l’historien Jean-Yves Mollier, « la décapitation et la terrorisation du camp démocrate furent immédiates. Il fallait tuer pour être compris, avait prévenu Morny, et l’on fit couler suffisamment de sang pour impressionner l’opinion ». En conséquence, le nombre des suffrages « non » est « remarquable tant il fallut de courage physique et mental, ce jour-là, pour oser exprimer ainsi sa réprobation du crime ». Pour le président, « plus de sept millions de suffrages » venaient de « l’absoudre en justifiant un acte qui n’avait d’autre but que d’épargner à la patrie et à l’Europe peut-être des années de trouble et de malheur ». George Sand, d’opinion républicaine, constate qu’« il y eut terreur et calomnie avec excès, mais le peuple eût voté sans cela comme il a voté. En 1852, ce 1852 rêvé par les républicains comme le terme de leurs désirs et le signal d’une révolution terrible, la déception eût bien été autrement épouvantable. Le peuple eût résisté à la loi du suffrage restreint et voté envers et contre tout, mais pour qui ? Pour Napoléon ». Le philosophe et historien Hippolyte Taine témoigne de l’impopularité de l’Assemblée dissoute et du soutien des campagnes à Louis-Napoléon, estimant aussi que « Bonaparte n’est pas pire que les autres. L’Assemblée haïssait la République plus que lui et, si elle avait pu, elle aurait violé son serment pour mettre au trône Henri V, ou les Orléans et au pouvoir M. Changarnier ».
Louis-Napoléon prend alors la responsabilité d’être le fossoyeur de la Deuxième République ce dont l’Histoire républicaine lui tient longtemps rigueur, oubliant souvent que l’assemblée a songé à plusieurs reprises à faire de même, en recourant à l’armée pour se débarrasser du président et pour rétablir la monarchie. Le coup d’État du « 2 décembre a donné naissance à une légende noire »156 fondée en partie sur la version donnée par Victor Hugo dans son livre Histoire d’un crime que l’historien Louis Girard caractérise cependant comme « peu crédible dans l’ensemble » mais qui apparaît, selon l’historien Pierre Milza, comme « le récit le plus circonstancié » à défaut d’être le plus exact du coup d’État.
La marche vers le Second Empire
L’empereur Napoléon III.
La constitution française est donc modifiée. Le prince-président avait promis le « retour à la légalité républicaine » sans en donner de définition précise. La république qu’il conçoit a pour but d’œuvrer au bien commun et implique qu’elle soit dirigée d’une main ferme par un chef capable de trancher entre les intérêts divergents et d’imposer l’autorité de l’État à tous. Il avait ainsi exposé sa conception de la démocratie césarienne quelques années plus tôt dans Des Idées napoléoniennes où il écrivait que « dans un gouvernement dont la base est démocratique, le chef seul a la puissance gouvernementale ; la force morale ne dérive que de lui, tout aussi remonte directement jusqu’à lui, soit haine, soit amour ». Les éléments clefs du bonapartisme, alliant autorité et souveraineté du peuple, sont ainsi clairement exposés : le régime bonapartiste serait donc autoritaire tout en recherchant l’approbation des masses.
Une commission de 80 membres est chargée de préparer un texte constitutionnel. Celui-ci est principalement l’œuvre de Persigny, de Charles de Flahaut et des juristes Jacques-André Mesnard, Eugène Rouher et Raymond Troplong. Fondée au terme de son premier article sur les grands principes proclamés en 1789, la république consulaire, qui est ainsi instituée par la nouvelle constitution et promulguée le 14 janvier 1852, confie le pouvoir exécutif à un président élu pour dix ans (article 2) seul responsable devant le peuple français auquel il a toujours droit de faire appel (article 5). Le nouveau régime politique est donc plébiscitaire et non parlementaire. Le chef de l’État a seul l’initiative des lois qu’il sanctionne et promulgue alors que les ministres ne sont responsables de leurs actes que devant lui. Le président nomme par ailleurs à tous les emplois civils et militaires et la justice se rend en son nom. Il est aussi seul apte à déclarer la guerre et à conclure les traités de paix ou de commerce. La garde nationale est réorganisée en une armée de parade. Un serment de fidélité à sa personne ainsi qu’à la Constitution est institué pour les fonctionnaires et les élus.
De janvier jusqu’au 29 mars 1852, Louis-Napoléon Bonaparte est le seul des trois moyens de gouvernement alors en place. Il légifère durant cette période par des « décrets dictatoriaux » que l’on appellerait aujourd’hui des décrets-lois. Celui du 23 janvier 1852, reprenant une proposition de loi de Jules Favre déposée en 1848 et qui voulait déclarer acquis au domaine de l’État les biens de l’ancien roi des Français, interdit à la famille d’Orléans de posséder des biens en France et annule les dotations financières attribuées autrefois à ses enfants par Louis-Philippe Ier, le produit des séquestres étant réparti entre les sociétés de secours mutuel, les logements ouvriers, la caisse des desservants ecclésiastiques et la Légion d’honneur. Pour les royalistes orléanistes et les bourgeois nostalgiques de la Monarchie de Juillet, ces dispositions sont démagogiques et équivalentes à une spoliation. La partie bourgeoise de l’électorat y voit notamment un coup porté au droit de propriété. Cette affaire provoque d’ailleurs des tensions au sein même du camp bonapartiste. La princesse Mathilde, qui tente d’obtenir la grâce des princes d’Orléans, est désavouée alors que quatre membres importants du gouvernement (Rouher, Fould, Magne et Morny) démissionnent pour marquer leur désaccord. Commentant cette affaire, l’écrivain Alexandre Dumas, lui-même poursuivi par des créanciers après la faillite de son théâtre et qui doit se réfugier à Bruxelles, s’exclame « l’oncle prenait des capitales, le neveu veut prendre nos capitaux ».
D’autres décrets réorganisent la Garde nationale alors que « les associations ouvrières, en fait des coopératives de production, sont presque toutes dissoutes ». En revanche, les sociétés de secours mutuelles, « si elles acceptent le patronage des membres honoraires qui les subventionnent, du maire et du curé », sont favorisées. Il s’agit, dans l’esprit de Louis-Napoléon, de promouvoir « le bien-être du peuple mais ne pas tolérer de sociétés de résistance sous couvert d’œuvres sociales ». En même temps, c’est par un décret du prince-président que les congrégations de femmes sont autorisées. Le décret du 17 février sur la presse reprend en les aggravant les conditions antérieures exigées pour la diffusion, exige pour toute création une autorisation préalable de l’administration et inaugure la procédure des avertissements pour les journaux politiques (Le journal des débats, Le Siècle). Le régime électoral est précisé par un décret dictatorial du 2 février qui fait d’un électeur tout homme de 21 ans comptant 6 mois de domicile. Le scrutin d’arrondissement à deux tours est adopté de préférence à celui du scrutin de liste en vigueur sous la deuxième république. Enfin, parmi les dispositions les plus innovatrices et remarquées depuis janvier 1852 figure celle qui établit les bureaux de vote dans chaque commune, et non plus au chef-lieu de canton, comme c’était le cas depuis 1848. L’historien Maurice Agulhon note que cette innovation, « en facilitant et familiarisant […] la pratique du vote, ne pouvait que contribuer à l’éducation civique de l’électeur, ce qui se produira en effet peu à peu au long du Second Empire ».
Parallèlement et concrètement, le statut du président évolue pour devenir celui d’un monarque : il signe Louis-Napoléon, se laisse appeler son altesse impériale ; ses amis et partisans sont récompensés pour leur fidélité ; une cour s’installe ; les aigles impériales sont rétablies sur les drapeaux, le code civil est rebaptisé code Napoléon, le 15 août célèbre la saint-Napoléon, premier modèle réussi en France de fête nationale populaire alors que l’effigie du prince-président fait son apparition sur les pièces de monnaie et les timbres-poste.
Pourtant Louis-Napoléon hésite à rétablir l’institution impériale, aspirant toujours à une réconciliation avec la gauche modérée. En février, il est procédé aux élections des membres du corps législatif. Pour ces premières élections de la nouvelle république consulaire, les préfets ont reçu les consignes de mettre l’administration au service des candidats officiels, depuis les juges de paix jusqu’aux gardes-champêtres et aux cantonniers. Celle-ci utilise alors tous les moyens possibles pour faciliter l’élection du candidat officiel, que ce soit par l’octroi de subventions, de faveurs, de décorations mais aussi de bourrage d’urnes, de menaces contre les candidats adverses et de pressions exercées par les notables sur leurs dépendants. Au soir des résultats, les candidats officiels ont obtenu 5 200 000 voix contre 800 000 aux divers candidats d’opposition. Les authentiques bonapartistes ne représentent pourtant qu’un tiers des députés élus dont une bonne moitié issue de l’orléanisme, les autres étant d’origines et d’allégeances diverses. Ainsi, dans le premier corps législatif de la république consulaire, on trouve aussi 35 députés légitimistes (dont trois élus sur liste officielle), 17 orléanistes, 18 conservateurs indépendants, deux catholiques libéraux et trois républicains. Les opposants qui parviennent à se faire élire doivent néanmoins prêter serment de fidélité au chef de l’État et à la Constitution s’ils veulent siéger. En conséquence, les trois députés républicains élus, qui refusent de prêter serment, ne siègent pas à l’Assemblée.
Afin de tester la possibilité du rétablissement éventuel de l’institution impériale, Louis-Napoléon entreprend, à compter du 1er septembre 1852, un voyage dans l’hexagone dans la pure tradition de l’idéologie bonapartiste d’appel au peuple. Il doit se rendre notamment dans les régions qui avaient connu des troubles lors du coup d’État. Le périple est en fait balisé par son ministre de l’intérieur, Persigny, qui a la particularité d’être le plus favorable de ses ministres au rétablissement de l’Empire. Partout où il passe, d’Orléans à Marseille, le prince-président ne voit que des partisans réclamer l’Empire alors que sont distribués de l’argent et des cadeaux aux hauts fonctionnaires locaux.
L’impératrice Eugénie et le prince impérial en 1857.
Le 2 décembre 1852, Louis-Napoléon Bonaparte devient l’empereur Napoléon III.
L’empereur étant célibataire et sans postérité légitime, la question de la succession dynastique n’est pas tranchée. Plusieurs membres des différentes familles régnantes européennes sont approchés pour un éventuel mariage impérial mais sans donner de résultats, notamment en raison des mœurs du prétendant (Napoléon III est déjà au moins le père de deux enfants naturels et vit avec une ancienne courtisane)183. En 1849, il a fait la connaissance de la jeune comtesse de Teba lors d’une réception à l’Élysée. De haut lignage espagnol, éduquée au couvent du Sacré-Cœur rue de Varenne à Paris, Eugénie de Montijo est une jeune femme instruite et cultivée de la noblesse, proche de Stendhal et de Prosper Mérimée. Dès leur rencontre, celui qui n’est alors que le prince-président est séduit. Le siège qu’il entreprend auprès d’Eugénie dure deux ans. Les familiers de l’empereur sont au début assez partagés envers la comtesse espagnole, certains souhaitant que l’Empereur se lie avec une famille régnante comme autrefois Napoléon avec Marie-Louise. Le 12 janvier 1853, un incident lors d’un bal aux Tuileries, où la jeune Espagnole se fait traiter d’aventurière par l’épouse d’un ministre, précipite la décision de Napoléon III de demander Eugénie en mariage alors qu’il vient de mettre un terme à sa relation avec Miss Howard.
Le 29 janvier 1853, le mariage civil de Napoléon III avec Eugénie de Montijo est célébré aux Tuileries puis, le 30 janvier, le mariage religieux a lieu à Notre-Dame. Pour cette occasion, l’empereur signe 3 000 ordres de grâce et fait savoir que toutes les dépenses du mariage seraient imputées sur le budget de sa liste civile alors qu’Eugénie refuse une parure de diamants offerte par la ville de Paris et demande que la somme correspondante soit consacrée à la construction d’un orphelinat. La lune de miel a lieu au parc de Villeneuve-l’Étang, à Marnes-la-Coquette au cœur du Domaine National de Saint-Cloud. Quelques semaines plus tard, l’impératrice est enceinte mais perd l’enfant après une chute de cheval. Une nouvelle grossesse impériale n’intervient que deux ans plus tard, au début de l’été 1855. Louis Napoléon, fils unique de Napoléon III et d’Eugénie, naît le 16 mars 1856. L’événement est encore l’occasion pour Napoléon III d’annoncer une nouvelle amnistie pour les proscrits du 2 décembre, alors que 600 000 habitants de Paris (un Parisien sur deux) se cotisent pour offrir un cadeau à l’impératrice.
Personnalité de Napoléon III
Portrait de Napoléon III en 1858 par Alfred de Dreux (1810-1860).
Napoléon III a été élevé dans le culte de Napoléon Ier et a pour la France « un amour porté au paroxysme » par l’interdiction qui lui est longtemps faite d’y résider. S’il est orgueilleux, croit en son destin et se voit comme un chef naturel et un homme providentiel, le personnage, bien que charmeur et séducteur, reste cependant secret et mystérieux188. De son passé de conspirateur et de ses années de captivité, Napoléon III a ainsi conservé l’habitude de rester placide en public. Les témoignages relèvent le plus souvent son impassibilité, son flegme, sa patience, son indulgence, sa fidélité en amitié mais aussi sa timidité et sa générosité ainsi qu’une certaine obstination à poursuivre des projets dont l’accomplissement lui paraît aller de soi. Il est décrit dans la sphère privée comme un homme attachant, naturellement bon, courageux mais aussi sensible et émotif.
En présence d’interlocuteurs moins proches, Napoléon III, pourvu d’un fort accent suisse-allemand, a tendance à s’exprimer lentement, paraissant chercher ses mots, laissant s’établir de longs silences ou déviant la conversation par des propos insignifiants. Cette retenue verbale a toujours été mal interprétée par ses partenaires ou adversaires politiques qui ont tendance à le sous-estimer ou à le mépriser. Ainsi Thiers qui, en 1848, le décrit comme « un crétin que nous mènerons », ou encore Victor Hugo qui invoque systématiquement la gloire de Napoléon Ier pour rabaisser Napoléon III, le dépeint dans ses ouvrages comme un vulgaire aventurier, médiocre, parjure et tyrannique. Néanmoins, certains de ses adversaires comme Rémusat finissent par reconnaître a posteriori l’habileté du personnage. Il n’en est pas moins vrai que Napoléon III n’est pas un grand orateur et peut nourrir à l’égard des hommes politiques, notamment ceux à l’aise dans la rhétorique parlementaire, un certain complexe d’infériorité, en partie dû à sa formation d’autodidacte. Homme nullement dénué d’intelligence politique ou diplomatique, même avec une formation intellectuelle qui peut paraître lacunaire pour les personnalités de son rang ou de sa fonction, il n’en est pas moins également multilingue et dispose d’amples connaissances techniques, économiques, agronomiques ou encore militaires.
Seul détenteur du pouvoir exécutif, l’empereur prend souvent ses décisions seul. Parfois « entêté dans l’indécision », selon l’expression d’Émile Ollivier, il se montre tout au long de son règne de plus en plus souvent hésitant, maladroit ou empêtré dans ses contradictions ce qui, dans son régime de pouvoir personnel, pèse immanquablement sur l’évolution générale de la politique française. Ses contradictions sont aussi dues à la nature composite de ses idées et de son entourage. Le régime manque d’un véritable parti bonapartiste et d’une doctrine cohérente. Il repose principalement sur l’addition d’un grand nombre de ralliements dont les intérêts et motivations sont très divers, voire parfois contradictoires. Il y a ceux qui se réclament d’un « bonapartisme de gauche » populaire et anticlérical et ceux qui sont d’un « bonapartisme de droite » conservateur et clérical196. L’empereur en est conscient, lequel déclare un jour : « Quel gouvernement que le mien ! l’impératrice est légitimiste, Napoléon-Jérôme républicain, Charles de Morny, orléaniste ; je suis moi-même socialiste. Il n’y a de bonapartiste que Persigny : mais Persigny est fou ! ». En plus de Morny et Persigny, il peut aussi compter sur Eugène Rouher, son homme de confiance de 1863 à 1869 qui fait figure de « vice-empereur », comme le qualifia Émile Ollivier, c’est-à-dire un premier ministre sans le titre.
En pratique, Napoléon III gouverne avec l’aide de deux organes officiels dont les attributions sont distinctes : le cabinet particulier, sorte de secrétariat général du chef de l’État, et le gouvernement. Jusqu’en 1864, le cabinet particulier est dirigé par Jean-François Mocquard et composé de fidèles. Le gouvernement est composé d’une dizaine de commis, individuellement responsables devant le seul empereur et révocables tout autant selon sa seule volonté. Si les ministres ne peuvent s’opposer aux projets du chef de l’État, il en est autrement des conseillers d’État. Hauts magistrats nommés par l’empereur, ils sont pour la plupart issus de l’administration orléaniste et peu enclins à partager les préoccupations sociales de Napoléon III. Si leur rôle est essentiellement consultatif, ils n’hésitent pas à reprendre et discuter le travail des ministres et à amender en profondeur les textes sur lesquels ils se prononcent, y compris ceux en provenance directe du cabinet. Ainsi, la suppression du livret ouvrier, l’adoption d’un système d’assurance pour les travailleurs agricoles ou la fixation autoritaire du prix du pain se heurtent à l’opposition du Conseil d’État, sans que Napoléon III procède, durant tout son règne, à la moindre révocation de conseillers alors qu’il en a les pouvoirs.
Durant tout le Second Empire, Napoléon III est l’objet de complots et d’attentats, lesquels sont la plupart du temps arrêtés durant leur phase d’élaboration voire à peine leur mise en œuvre débutée. Napoléon III est fataliste sur ce sujet et se laisse difficilement protéger, refusant même de cesser ses bains de foules occasionnels où il est le plus vulnérable. Certains des complots destinés à renverser le régime étaient l’œuvre de sociétés secrètes nommées Solidarité révolutionnaire, Fraternité universelle, Marianne ou Jeune Montagne mais d’autres conspirations ont pour but de tuer l’empereur ou des membres de la famille impériale. Si près d’une vingtaine de ces conspirations sont déjouées entre 1851 et 1855, les plus sérieuses sont une tentative d’assassinat de l’empereur à l’Opéra-Comique (1853), la découverte d’une bombe sur une voie de chemin de fer que le train impérial allait emprunter (1854), les coups de feu tirés sur Napoléon III par l’Italien Giovanni Pianori sur les Champs-Élysées en 1855 et une autre tentative la même année alors qu’il se rend au Théâtre italien par un illuminé nommé Bellemare. Le plus important et le plus sanglant de ces attentats est néanmoins celui mené par Felice Orsini en 1858 qui fait 156 blessés dont 12 suivis de décès203. Quelques années plus tard, Giovanni Passannante, auteur d’un attentat manqué contre le roi Humbert Ier, planifie, selon certains témoins, l’assassinat de Napoléon III, en l’accusant d’être un obstacle pour la République Universelle.
État de santé
Napoléon III en décembre 1872.
À partir de 1863, victime d’une hématurie, l’empereur voit son état de santé se dégrader brusquement. En décembre, il est pris de malaise lors d’une réception officielle aux Tuileries et fait une crise cardiaque en 1864 au cours d’une visite nocturne chez sa maîtresse, Marguerite Bellanger. En fait, depuis sa captivité à Ham, l’état de santé de Louis-Napoléon Bonaparte est fragile. Cumulant rhumatisme, poussées hémorroïdaires, troubles digestifs et crises de goutte, l’empereur se rend annuellement en cure d’abord à Plombières puis à Vichy, faisant la renommée de ces deux villes. En 1861, les médecins décèlent chez lui un calcul vésical, responsable de nombreuses et fortes douleurs dans le bas-ventre et de gêne urinaire. C’est une lithiase dont les crises, d’abord espacées et brèves, deviennent chaque année de plus en plus nombreuses et longues. En 1865, la détérioration de l’état de santé de l’empereur l’oblige à ajourner des déplacements et à renoncer à participer à un conseil des ministres. Les crises s’enchaînent, y compris lorsqu’il est en cure. Physiquement, l’empereur accuse le coup. Prématurément vieilli comme l’attestent notamment ses portraits de l’époque, il se tasse et prend de l’embonpoint alors que ses déplacements sont rendus plus difficiles.
Sa déchéance physique compromet sa capacité à gouverner, une grande partie de son énergie étant consacrée à lutter contre la maladie et à cacher sa souffrance à ses interlocuteurs. En dépit des périodes où la maladie est moins présente, durant les années 1867 et 1868, la santé de l’empereur continue de se dégrader et fait l’objet de rumeurs dans la capitale. Devenu un souverain intermittent, Napoléon III arrive à diriger normalement la France entre deux crises ou alors sous chloral, qui provoque néanmoins de fréquentes somnolences. L’impératrice, consciente de la situation et de la fragilité du régime, sait que le prince impérial est trop jeune pour succéder à son père. Aussi s’attache-t-elle à se constituer une clientèle de fidèles et à préparer une éventuelle régence alors que, à partir de 1866, l’empereur l’appelle à siéger à ses côtés au conseil des ministres afin de l’initier aux grandes affaires de l’État. Eugénie révèle plus tard qu’ils avaient pris la décision d’abdiquer en 1874, quand leur fils aurait 18 ans, pour se retirer à Pau et à Biarritz. Pendant la guerre franco-allemande de 1870, il a besoin d’uriner si souvent qu’il fait bourrer son pantalon de serviettes. Après la défaite, lors de son exil à Camden Place, le chirurgien anglais Henry Thomson choisit la lithotripsie et l’opère par deux fois par les voies naturelles. Napoléon III meurt alors qu’une troisième opération est prévue.