La Médaille Militaire ou le bijou de l’armée
La médaille militaire est incontestablement la plus belle décoration française. Non hiérarchisée, ne comportant ni grade, ni degré, elle est attribuée aux militaires non officiers de toutes armes. Elle fut instituée en 1852 par le prince Louis Napoléon Bonaparte, futur Napoléon III, en écho à la création par Napoléon Ier, 50 ans auparavant, de la Légion d’honneur, concédée, elle, aux seuls officiers. Depuis lors, elle pend sur la poitrine d’hommes, de femmes et d’enfants, comme autant d’exploits insoupçonnables que la nature humaine révèle dans des circonstances exceptionnelles. Elle décore drapeaux et emblèmes et honore parfois l’insolite.
22 janvier 1852, Palais des Tuileries.
Louis Napoléon Bonaparte, encore président de la République, signe le décret de création d’une nouvelle décoration destinée à récompenser les soldats et sous-officiers de l’armée de terre et de mer. Le décret du 29 février en fixe les caractéristiques essentielles. La médaille, d’un diamètre de 28 millimètres, sera en argent et portera sur l’avers l’effigie de Louis Napoléon, avec son nom pour exergue, et sur le revers, dans l’intérieur du médaillon, la devise « Valeur et Discipline ». Le décret précise qu’elle sera surmontée d’un aigle. Le ruban, quant à lui, est directement inspiré de la Couronne de Fer imaginée par Napoléon Ier après qu’il ait été couronné roi d’Italie.
22 mars 1852, face au Carrousel du Louvre, première remise de Médailles Militaires. Le général Canrobert commande la cérémonie et présente les troupes (6.000 hommes) au prince président, lequel arbore lui-même l’insigne qui ornera bientôt la poitrine des braves, figés au garde-à-vous, auxquels il s’adresse ainsi :
« Soldats, combien de fois ai-je regretté de voir des soldats et des sous-officiers rentrer dans leurs foyers sans récompense, quoique, par la durée de leurs services, par des blessures, par des actions dignes d’éloges, ils eussent mérité un témoignage de satisfaction de la patrie ! C’est pour le leur accorder que j’ai institué cette médaille. Elle assurera 100 francs de rente viagère. C’est peu, certainement, mais ce qui est beaucoup, c’est le ruban que vous porterez sur la poitrine et qui dira à vos camarades, à vos familles, à vos concitoyens que celui qui la porte est un brave… ».
Puis, après un roulement de tambour, Louis Napoléon remet la toute première Médaille Militaire à Jean-François Forgues, sergent du 72e de ligne, qui inaugure les registres du ministère de la Guerre dans les colonnes duquel on peut lire « Services 9 ans, campagnes 9 ans. S’est distingué pendant les événements de décembre. Trois fois engagé ». Au cours de la cérémonie, 47 autres médailles seront attribuées. Le dernier récipiendaire sera le canonnier Pointurier (16 ans de services, 8 ans de campagnes).
Le 10 mai suivant, une seconde cérémonie du même ordre rassemble cette fois 800.000 hommes et 100 bouches à feu sur le Champ de Mars. Au cours de cette manifestation de grande ampleur, 1.705 soldats et sous-officiers seront mis à l’honneur, dans le cadre d’une large promotion (262 cavaliers, 200 artilleurs et soldats du génie, 313 gendarmes, 864 fantassins et 66 hommes de divers corps).
Enfin, le 13 juin, la concession du ruban vert et jaune est étendue, par exception, aux maréchaux de France et aux officiers généraux ayant rempli les fonctions de ministre ou exercé des commandements en chef. C’est ainsi que Louis Napoléon Bonaparte décerne la médaille militaire aux comtes Honoré Reille (1755-1860) et Jean-Baptiste Vaillant (1790-1872). Le premier participa notamment aux batailles de Iéna, Friedland et Wagram. Il fit partie de cette talentueuse génération venue remplacer, sur la fin de l’Empire, celle, fatiguée, des héros de la Grande Armée et de la République. Il avait été nommé maréchal de France le 17 septembre 1847. Pour l’anecdote, notons qu’il repose au cimetière du Père Lachaise sous le même monument que le maréchal Masséna, dont il avait épousé la fille, Victoire. Le second fut ministre de la Guerre, ministre de la Maison de l’Empereur de 1860 à 1870. Il était maréchal de France depuis 1851.
À partir de ce printemps 1852, l’histoire de la médaille militaire se confond avec l’histoire militaire et politique de la France.
Après l’échec contre la Prusse, Napoléon III et l’aigle impérial disparaissent de la médaille, respectivement remplacés par Cérès, un trophée d’armes et la mention « 1870 ».
En 1951, une nouvelle modification intervient. L’année 1870 connotant davantage la défaite que l’idée républicaine, elle est remplacée par une étoile.
À l’heure du centenaire de cette prestigieuse création, on estimait à 987.000 le nombre de médailles effectivement accordées. Pour autant, 84 seulement étaient venues récompenser les mérites féminins. De 1852 à 1871, neuf cantinières furent décorées. La toute première fut Marie-Jeanne Rossini, du régiment des zouaves de la garde, décorée le 17 juin 1859 pour souligner ses services durant la campagne d’Italie. Il relèverait du pléonasme de dire que les campagnes napoléoniennes ont fourni leurs lots de héros. Si l’intendance était traditionnellement un poste réservée aux femmes, un autre rouage-clé de la logistique de guerre leur revenait également avec le service de santé. Plus tard, l’introduction du télégraphe et du téléphone dans l’armée nécessita un nouvel emploi, principalement tenu par des femmes. C’est dire qu’elles ne furent pas épargnées.
Ce survol ne serait pas complet si nous passions outre les enfants, ces benjamins des conflits qui ont dédié leur jeunesse au combat. Pour illustrer leur lumineuse participation, citons ce jeune Marseillais, Désiré Bianco. Il a 13 ans en 1915 lorsqu’il parvient à se mêler à un détachement du 6e régiment de hussards et à gagner le front de la Meuse. Découvert, il sera rendu à sa famille, avant de récidiver de façon tout aussi infructueuse. Il embarque finalement depuis Toulon à destination des Dardanelles, aux côtés du 58e régiment d’infanterie coloniale. Son intrépidité et sa hardiesse auront raison de lui. Malgré la protection et les exhortations à la prudence de ses supérieurs, il tombera au champ d’honneur le 8 mai 1915, sabre au poing.
Décorer un drapeau est sans nul doute un geste hautement symbolique qui couvre d’honneur tout un régiment et exacerbe sa fierté. Il n’est plus question de gratitude à l’égard d’actes isolés mais de la reconnaissance d’une magistrale collaboration humaine.
Alors que 73 emblèmes des armées sont ornés de la Légion d’honneur, 10 seulement le sont de la médaille militaire – décorés de 1918 à 2002. Il en va des emblèmes régimentaires comme des généraux, la médaille militaire représente bien la mention absolue. Le drapeau des bataillons de chasseurs fut le premier à recevoir cet honneur, en récompense de la prise, par le 1er bataillon de chasseurs à pied, du premier drapeau ennemi – celui du 132e régiment de Landwehr – le 15 août 1914 à Saint-Blaise (Alsace).
Il fut arraché par le sergent Foulfon et solennellement exposé au balcon du ministère de la Guerre, à Paris. Dans d’autres circonstances, et plus proche de nous, la médaille militaire a été épinglée sur les drapeaux de l’École de gendarmerie de Chaumont, de l’École nationale des sous-officiers d’active de Saint-Maixent-L’École, de celle de formation des sous-officiers de l’armée de l’air de Rochefort et du Centre d’instruction de Saint-Mandrier des mains du président de la République, Jacques Chirac, le 5 février 2002, à l’occasion du 150e anniversaire de la création de l’insigne napoléonien.
Étonnants, insolites, invraisemblables, tels sont certains faits qui jalonnent le parcours historique de la médaille militaire. Arrêtons-nous quelques instants sur ces événements singuliers.
Parmi les quelque 230.000 décorés de la médaille militaire au terme de la Première Guerre Mondiale, il est un soldat de 2e classe au destin inattendu : le général de brigade Amanrich, rayé des cadres avant le début du conflit et engagé volontaire comme simple soldat lors de son déclenchement.
Une médaille prestigieuse, des hommes, des femmes, des enfants au courage indéfectible, des drapeaux lourds d’un passé glorieux, mais également un pigeon. Oui, l’un de ces improbables volatiles qui se démarqua de ces milliers de pigeons soldats ayant permis de sauver de nombreuses vies humaines. Il répondait au nom de « Vaillant » et portait le matricule 787-15. Il fut lâché du Fort de Vaux le 4 juin 1916 à 11 heures 30 pour apporter à Verdun le dernier message du commandant Raynal : « Nous tenons toujours, mais nous subissons une attaque par les gaz et les fumées très dangereuses. Il y a urgence à nous dégager. Faites-nous donner de suite toute communication optique par Souville qui ne répond pas à nos appels. C’est mon dernier pigeon ». L’oiseau fit l’objet d’une citation à l’ordre de la nation et l’on décida de lui décerner la médaille militaire. Lorsque Vaillant mourut, en 1929, une plaque commémorative fut apposée à l’entrée du fort.
De nos jours, la médaille militaire tend davantage à honorer le dévouement à la collectivité que les mérites propres aux conflits armés. Aujourd’hui, tous les citoyens ont eu à connaître les services rendus par la gendarmerie et les sapeurs pompiers. Cependant, depuis 2009, il est d’usage de la décerner à titre posthume – simultanément avec la croix de la Légion d’honneur – à tout sous-officier ou militaire du rang tué en opération. Une double attribution hautement symbolique, la médaille militaire représentant le service des armes, le dévouement et la prise de risque dans la durée, et la Légion d’honneur figurant le sacrifice suprême.
Troisième décoration française dans l’ordre de préséance, la médaille militaire se porte immédiatement après l’ordre national de la Légion d’honneur, l’ordre national de la Libération, et devant l’ordre national du Mérite. Chaque année, quelque 3.500 médailles militaires sont attribuées par décision de la Grande Chancellerie. Chaque année, ce sont plusieurs nouveaux décorés, d’active ou de réserve, qui viennent rejoindre la « Société nationale d’entraide de la médaille militaire ».
Des « Médaillés militaires de France » à la Société nationale d’entraide de la médaille militaire
Au tout début du 20e siècle, tandis qu’il n’était pas encore question de couverture maladie, d’allocations familiales, non plus que de retraite, aucun organisme institutionnel n’existait – au contraire de l’ordre national de la Légion d’honneur – pour regrouper les détenteurs du ruban vert et jaune. Cette lacune sera corrigée en 1904, avec la création de la Société de prévoyance, de secours mutuels et de retraités dite « Les médaillés militaires de France ».
Plus tard, et au gré de l’Histoire, cette structure poursuivra sa mission de solidarité sociale sous l’appellation de Société nationale mutualiste « Les médaillés militaires ».
Sous le nom de « Société nationale d’entraide de la médaille militaire » depuis 2009, et forte de 55.000 adhérents, elle veille à inscrire ses mêmes objectifs dans un environnement aujourd’hui fort différent.